Et ta femme, elle en dit quoi ?

C’est la question que m’a posée Christophe un matin de septembre 2011.

 

Quelques jours auparavant, L’Express avait publié un Carnet RH dédié à la diversité. Pour chacune des dimensions de la diversité, le journal présentait des bonnes pratiques et une interview. La dernière page était consacrée à l’orientation sexuelle avec comme titre « Des entreprises gay-friendly, ça existe », et juste sous le titre, il y avait ma photo.
L’article avait été diffusé dans la revue de presse interne de mon entreprise d’alors, et mon collègue Christophe l’avait lu. Christophe était un homme ouvert, sympathique, tourné vers l’humain, mais peut-être pas super à l’aise avec tous les sujets diversité, en tout cas pas vraiment avec la question LGBT. Nous avions fait partie du même comité de direction, et avions partagé les mêmes bureaux, toujours de manière conviviale et harmonieuse.  Avec un petit sourire en coin, il me pose donc la question :     « dis donc Jean-Michel, je savais pas…. Et ta femme elle en dit quoi ? »

Le voyant venir avec ses énormes sabots, je décidai de feindre l’incompréhension : « tu ne savais pas quoi ? »

Son sourire se crispe un peu, et il bredouille « ben dans l’Express, j’ai vu ta photo. Je ne savais pas que tu étais… euh, tu sais bien quoi » Petit clin d’œil…. Je lui fais remarquer qu’il ne m’a jamais demandé si j’étais une femme lorsque je parlais de mixité dans la presse, ou si j’étais moi-même handicapé lorsque je m’exprimais sur le handicap.

Sur ces entrefaites arrive Daniel, le nouveau Boss de Luc, lui aussi un ancien collègue. Il demande de quoi nous parlons, et Christophe lui raconte, le sourire retrouvé.

Et là, Daniel écarquille les yeux et dit d’un ton péremptoire « je ne vois vraiment pas ce que tu trouves de drôle là-dedans, c’est un sujet extrêmement sérieux. Je connais dans mon entourage proche des gens qui ont beaucoup souffert de ce genre de commentaires, voire de discrimination de la part de leur entourage professionnel ou personnel, et je suis heureux que notre entreprise s’engage pour devenir gay-friendly »

 

En une phrase, la discussion avait totalement viré de bord, et Christophe s’est mis à rétro-pédaler doucement. Christophe n’est pas et n’a jamais été homophobe, mais comme beaucoup, comme moi certainement, il se laisse aller à la facilité et son humour peut glisser des homos aux blondes, sans vouloir faire mal, mais en étant totalement inconscient des dégâts potentiels auprès de celles et ceux qui l’entendent. Je ne suis pas sûr que Christophe défile à la Gay Pride dans un proche avenir, mais je crois que l’expérience lui a été utile, et le fait que la contradiction soit venue d’un autre homme non spécialiste a été plus qu’important. J’aurais probablement été moins convaincant que Daniel si j’avais eu le temps de répondre, parce que je suis engagé dans ces combats, parce que je suis militant et parce que j’étais identifié comme étant « Monsieur Diversité », celui qui prêche la bonne parole…

 

Daniel a été un vrai rôle-modèle par son comportement simple, et c’est ce que nous devons chercher à identifier et à promouvoir dans nos  entreprises : des femmes et des hommes qui s’engagent sans que ce soit leur activité principale. Appelons les « ambassadeurs » ou « sponsors » ou « champions », leur voix porte car ils ont la légitimité de leur fonction et le langage adapté, audible par la majorité. C’est, je le crois, une absolue nécessité pour les DRH ou pour les responsables diversité de leur faire prendre la parole, en interne tout comme en externe, pour convaincre en partageant leur engagement et leurs convictions.

 

Et il me semble que nous en avons vraiment besoin, en ce moment plus que jamais.